Pépette Show

« L’esprit a beau faire plus de chemin que le cœur, il ne va jamais aussi loin »

Ça va faire une dizaine d’années, voir plus, que je me suis fixée un seul et même but dans la vie. Je ne crois pas qu’à 100 ans, ce qu’il restera de mon passé, ce sera les richesses, la réussite, ni même le plaisir d’habiter dans un appartement cossu. Je suis ambitieuse, je réussirai, mais plus pour le confort, que pour le challenge. Ce dont j’ai toujours rêvé pour mes vieux jours c’est d’être remplie de sagesse. Je n’ai jamais été une fille « sage » par nature, mais en revanche, désireuse de l’être ça oui. Je dois tenir ça de ma fascination pour le rapport qu’ont les asiatiques aux anciens. Puis y’a eu aussi, Pocahontas de Walt Disney (mouhahaha, c’est MA référence), il y a le personnage du saule pleureur qui donne de mystérieux conseils à l’héroïne, la métaphore de la vielle branche qui sait tout, un jour ce sera moi.

Plus tard, quand j’aurais autant de rides que de seins fripées, j’aimerais être la figure d’autorité d’une famille nombreuse. « Va voir Mamie Navie, ma chérie, elle est toujours de très judicieux conseils… ». C’est une drôle d’ambition, mais je me rêve ainsi, vielle, souriante, compétente, entourée de milliers de photos, chiantes et longues dans mes anecdotes. Toujours jeune et très très âgée.

Aujourd’hui, j’ai fait une magnifique rencontre. Je suis de celle à dire à mon mec « On devrait aller voir ta grand-mère, elle est toute seule ». J’ai rencontré du coup, Fuckin’ Granma Prince. J’ai dû pleurer à peu près trois ou quatre fois et plus la jolie Huguette se racontait, plus j’étais fascinée. 95 ans de vie, et presque autant d’anecdotes. Son enfance à Alger, sa rencontre à l’opéra avec un militaire alors qu’elle était une harpiste de talent. Comment elle a envoyé dans les roses Tino Rossi. Ses expressions corse, son échange en arabe avec le patron du restaurant, tant de vie dans de si petites mains.

Y’a une alliance à son doigt quand elle me dit « Ah mon mari, c’était pas un homme facile hein, fallait filer droit, mais moi je l’aimais comme ça, un jour j’étais à l’hôpital, il était en chine, et bah de là bas il m’a appelé pour s’assurer que j’allais bien, tu te rends compte ?! » Quand elle te dit ça Huguette elle a des larmes plein les yeux. Elle parle, elle parle et elle me fait rire « tu sais que je me suis fracturée tout le corps, du crâne aux pieds» elle te balance ça grave, mais elle a la pêche, elle croque une frite parce que « le gratin de courgette c’est pas mon truc ».

A son mariage elle avait une très belle robe, pendant la guerre les couturières n’avait pas beaucoup de travail, alors même en deux semaines, elles lui ont fait une tenue géniale. Son mari l’a demandé en mariage, le jour de leur rencontre, ils ont vécu 50 ans ensemble et elle te sort pendant que tu mastiques captivée ta merguez un « j’ai eu tellement de chance ». Ca fait 20 ans qu’elle a perdu son amour, il est décédé quelques mois avant leurs 50 ans de mariage, c’est frustrant, ils voulaient fêter ça à la Tour d’argent, j’aimerais bien l’y emmener moi à la Tour. Elle a des copines et un emploi du temps de ministre, elle fait les chiffes et des lettres et mange trois fois par semaine au bistrot d’en bas, la semaine dernière elle a fait 472 au scrabble.

Elle a furieusement la classe Huguette. C’est un peu la mascotte du resto et quand elle arrive, elle fait la bise à tout le monde. C’est un petit phénomène d’un mètre cinquante. Elle parle de la mort, trouve que si elle est encore là dans 5 ans, pour ses 100 ans, ce serait la plaie… Il semblerait qu’elle ait assez vécu. A ce moment là j’ai une larme, toute égoïste que je suis, je réalise que je vais la connaître qu’un tout petit peu. Alors je prends tout ce qu’elle me donne.

Elle se pose au piano, et de ses doigts agiles, elle entame la Chanson de Clara. Un classique, je balaie des yeux le salon. Y’a des vielles photos partout, je vois enfin sa belle robe de mariée, elle et sa Harpe, on dirait Audrey Hepburn, je vois son mari, fier, lui et sa légion d’honneur « Il était beau mon homme hein ? »  elle a sa grosse alliance masculine autour du cou, ainsi qu’un petit médaillon avec une photo de Patrick à l’intérieur, son fils qu’elle a perdu bébé. Il est de ces rencontres qui chamboulent tout.

J’aime les gens mures, qu’ils aient 10 ou 80 ans, j’aime les gens qui ont bien compris, que c’est l’amour qui fait la vie. Je fais parti de la sale race des improductifs parce que chez moi les sentiments passent avant tout, mièvre, pathétique, je me fous, mais alors complètement, d’être une désuète sentimentale, j’m’en tape, j’aime, j’aime follement. Huguette me dit alors « ouh, toi et moi on est pareille, je le sens.» Je réalise alors, que dans ma vie je vais beaucoup pleurer, je réalise alors, que dans ma vie je vais surtout aimer. Metro concorde, je regarde le Fuckin’ Prince, je suis encore toute émue de cette rencontre, je lui serre la main et je fais un pas vers celle que je serais. Je me sens bien.